Ah, les souris ! N’ont-elles jamais cessé d’alimenter nos imaginaires ? Ces petites créatures furtives et insaisissables, que l’on surprend à se faufiler dans les coins sombres, évoquent chez moi une forme étrange de tendresse. Elles sont là, silencieuses, presque invisibles, mais toujours prêtes à fuir à la moindre alerte, petits fantômes effrayés qui peuplent les recoins de nos maisons.
Cependant, mon affection pour elles s’arrête net dès lors qu’elles s’aventurent dans le Livraire ou la salle des archives. Ici, dans ces sanctuaires de savoir et d’histoire, leur présence n’est pas tolérable. C’est alors à Bagatelle que revient la tâche d’aimer les souris. Avec efficacité, ce fier félin règle rapidement ces intrusions. Je le laisse exercer ses talents avec une admiration silencieuse.
Ce matin, alors que je me rendais au Livraire, un éclat de voix joyeuses m’a tirée de mes pensées. Un groupe d’enfants, un peu plus loin, chantait à tue-tête une comptine bien connue de tous. Ces paroles, que nous avons tous fredonnées à un moment ou à un autre, m’ont ramenée à l’innocence très lointaine de l’enfance, ce temps où l’on entonne des chansons sans trop se soucier de leur sens profond.
Une souris verte,
Qui courait dans l’herbe…
Vous la connaissez sûrement. Qui n’a jamais chanté ces quelques vers, ponctués par des rires et des jeux ? Pourtant, cette ritournelle, qui semble si innocente, cache peut-être une histoire bien plus mystérieuse. L’origine de cette comptine est difficile à situer avec précision. On en trouve les premières traces écrites à la fin du XVIIe siècle, début du XVIIIe, mais il est probable qu’elle existait bien avant dans la tradition orale. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est typiquement française, n’ayant pas d’équivalent dans d’autres langues. Le nom de son auteur, quant à lui, est resté dans l’oubli, comme c’est souvent le cas pour ces chants populaires transmis de génération en génération.
Certains murmurent qu’elle cacherait une histoire sinistre, peut-être même tragique. Selon une légende tenace, elle ferait référence à un épisode sanglant de la Révolution française, relatant le martyre d’un Chouan de Vendée torturé par les révolutionnaires. D’autres, plus pragmatiques, balaient cette théorie d’un revers de main, arguant que cette comptine, comme tant d’autres, n’est qu’un jeu de mots absurde, destiné à amuser les enfants.
Mais il est une autre hypothèse qui, personnellement, me séduit davantage : celle d’un secret alchimique dissimulé entre les lignes de cette innocente chansonnette.
L’énigme alchimique de la souris verte
Une souris verte,
Qui courait dans l’herbe.
Dès les premiers mots, nous sommes face à une créature anodine en apparence, une petite souris insignifiante. Mais il y a un détail troublant : elle est verte. Cette couleur, inhabituelle dans le règne animal, attire immédiatement l’attention. Le vert, dans l’imaginaire collectif, possède une signification ambivalente. Il évoque à la fois la nature, la vie, la chance, mais aussi le poison, le danger, et même le Diable. Cette souris verte n’est donc pas une simple créature : elle incarne une force mystérieuse, peut-être bénéfique, peut-être maléfique.
(Si vous êtes intéressés par les significations multiples ou cachées des couleurs, je ne saurais trop vous recommander l’expertise de Michel Pastoureau, par exemple avec cet ouvrage consacrée à l’histoire sociale, artistique et symbolique du vert : Vert, histoire d’une couleur)
Elle court dans l’herbe, verte elle aussi. Cette souris évolue dans son élément naturel, mais elle est si fugace, si rapide, qu’il faut une chance incroyable pour la remarquer. La voilà, comme une opportunité qui se présente à nous. Faut-il la saisir ? Faut-il l’ignorer ?
Je l’attrape par la queue.
Là, le choix est fait. On a agi sur un coup de tête, saisi cette chance au vol. Mais une fois cette étrangeté entre les mains, que faire ? La souris verte, symbole d’une idée novatrice, d’une découverte inattendue, suscite à la fois curiosité et perplexité.
Je la montre à ces messieurs.
Nous ne savons pas toujours quoi faire de ces inspirations fulgurantes. Alors, instinctivement, on se tourne vers ceux qui savent, les « messieurs » : les sages, les alchimistes, les érudits. On leur demande conseil.
Ces messieurs me disent :
Trempez-la dans l’huile,
Trempez-la dans l’eau,
Ça fera un escargot tout chaud.
Et voici leur réponse énigmatique. Ils conseillent de soumettre la souris à des transformations, de la plonger dans des éléments contraires, l’huile et l’eau, comme pour accomplir un rituel alchimique. Ce processus évoque la quête de la pierre philosophale, cette mystérieuse substance capable de transmuter les métaux vils en or, de guérir les maladies et d’offrir l’immortalité. La souris, une fois transformée, deviendrait un « escargot tout chaud », métaphore possible d’une nouvelle forme de vie, d’une matière transmutée.
Je la mets dans mon chapeau,
Elle me dit qu’il fait trop chaud.
Garder cette idée, cette inspiration, sans cesse en tête peut devenir étouffant. Trop réfléchir, trop s’acharner sur une idée, peut brûler l’esprit. Il faut savoir lâcher prise parfois.
Je la mets dans mon tiroir,
Elle me dit qu’il fait trop noir.
Mais à l’inverse, enfouir cette idée dans l’obscurité, la laisser de côté trop longtemps, pourrait lui être fatal. Il faut trouver le juste milieu entre l’obsession et l’oubli.
Je la mets dans ma culotte,
Elle y fait trois petites crottes.
Si l’on abuse de cette idée, si l’on cherche à en tirer un profit purement matériel ou à satisfaire des désirs bassement humains, elle se vengera. Elle nous rappellera que les grandes idées ne doivent pas être souillées par des ambitions égoïstes.
Je la mets dans ma main,
Elle me dit qu’elle est très bien.
Finalement, le secret réside peut-être dans la simplicité : garder cette souris verte, cette idée nouvelle, dans la paume de sa main. La maîtriser, la comprendre, mais sans l’étouffer ni la négliger. C’est là l’équilibre délicat que l’alchimiste, le créateur, ou tout simplement l’homme, doit apprendre à trouver.
Et vous, que pensez-vous de cette comptine mystérieuse ?
Je serais curieuse de connaître vos interprétations. Que vous évoque cette souris verte, fugace et insaisissable ?
J’attends vos réponses avec impatience.
Lénore.
Actias Luna ~